La souffrance morale
A la souffrance physique s'ajoute la souffrance morale.
En fait, les deux sont liés. Je crois que ce qui est difficile à supporter c'est l'intensité et la bizarrerie de certains symptômes. Des choses dont je n'avais jamais entendu parler. Je me suis vraiment demandée ce qui m'arrivait, si j'avais une maladie grave ? Et quand ça allait se passer ?
Les insomnies : certes, j'avais déjà entendu parler de personnes qui étaient insomniaques mais jamais dans ma famille, ni dans mes relations proches. Lorsqu'on passe des nuits blanches ou à dormir seulement 2 ou 3 heures et que ce problème dure des mois, on se demande combien de temps on va tenir le coup.
Les cauchemars : je me suis retrouvée recroquevillée au pied de mon lit, terrorisée. Je crois que c'est là que j'ai fait le rapprochement avec ces drogués en état de manque que j'avais vu dans certains films.
Les souvenirs qui reviennent d'un coup : j'ai passé des nuits à revenir sur mon passé. J'ai retrouvé les noms d'anciennes camarades de classe ou de professeurs que je pensais avoir complètement oubliés. J'ai revisité mon lycée par la pensée et me suis souvenue de chaque endroit. J'ai pu, avec l'aide d'une psychologue, faire la part des choses de ce qui s'était passé dans mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse et même ma vie d'adulte, comprendre pourquoi je trainais ce mal être qui a amené les médecins à me prescrire des antidépresseurs et des anxiolytiques comme si le mal-être ou la tristesse étaient des maladies. Comment peut-on priver les gens de leurs souvenirs ? c'est inhumain ! grâce à ça, j'ai pu "guérir" de cette "dépression" dans laquelle ces "médicaments" m'avaient maintenue.
Je Je reste persuadée qu'il est impossible de s'en sortir tant que l'on est sous l'influence des médicaments psychotropes. On tourne en rond !
Les pensées qui vont à toute vitesse : j'ai cru que j'allais devenir folle ! comme si mon cerveau était en sur-régime.
Les problèmes de mémoire : là, j'ai eu très peur ! très peur d'avoir la maladie d'Alzheimer. Plusieurs fois par jour, j'arrivais dans une pièce me demandant ce que je faisais là. Je mettais une tasse avec de l'eau à chauffer au micro-ondes, il suffisait que je sois dérangée par le téléphone par exemple et en revenant dans la cuisine, j'en reprenais une autre et en ouvrant la porte du four, je me rendais compte qu'il y en avait déjà une. J'oubliais de fermer la porte d'entrée de ma maison ou la porte du garage ; je me trompais dans mes rendez-vous, etc. etc. J'en pleurais de désespoir.
Évidemment, lorsque je racontais ça aux gens, on me répondait : "Ah oui, moi aussi, ça m'arrive". Bien sûr que ça arrive lorsqu'on pense à autre chose ou qu'on est préoccupé. Sauf que moi ça m'arrivait plusieurs fois par jour et que ça aussi, ça a duré des mois !
La meilleure preuve que tout ça est bien dû au sevrage, c'est que plus le temps passe, plus ça s'améliore.
J'entends souvent également : "et, ça ne va pas s'arranger en vieillissant !". Dans ce cas, je réponds : "et bien, je serai une des rares personnes pour qui ça s'arrange en vieillissant". Et, le temps me donne raison.
Il y a aussi cette "glossodynie" ou "stomatodynie". Là, j'ai le nom d'une maladie mais pour moi, ce n'en est pas une. Des symptômes dans la bouche : picotements, brulures, douleurs au niveau des dents, des gencives, de la langue, tension dans les joues (je me mords l'intérieur des joues), des problèmes de salivation (bouche et gorge sèche ou au contraire trop de salive). Là aussi, je me suis vraiment demandée ce qui m'arrivait. La bouche, c'est quand-même quelque chose de très intime. D'habitude, c'est plutôt source de plaisir : on goûte et on apprécie les aliments avec la bouche, on embrasse (je ne voulais même plus que mon mari me fasse des baisers). J'ai fait des recherches sur internet (sur des sites médicaux de préférence). Tout le monde le sait, on trouve tout et n'importe quoi sur internet. Sauf que, étant donné que j'ai retrouvé ma faculté de jugement et mon esprit d'analyse, je me sentais, quand-même, capable de faire la part des choses. Et j'ai fini par comprendre que ces symptômes sont, eux aussi, dus à un dysfonctionnement du système nerveux central et/ou périphérique, comme par hasard ! Il y a encore des sites où il est dit que ces problèmes sont d'ordre psychologique ou psychosomatique. Je veux bien croire que l'énervement, la colère n'arrange pas les choses mais c'est tout. Pour moi, ça aussi, c'est un symptôme de sevrage ! La preuve, c'est que ça commence à s'atténuer un peu. Les glandes salivaires recommencent à fonctionner presque normalement.
Et puis, il y a eu l'attitude de mes proches (frères et sœur) que j'ai ressentie comme de l'incompréhension voire de l'indifférence. Environ 6 mois après la fin de mon sevrage, je leur ai tout expliqué dans un long mail puis, encore 6 mois plus tard, ne comprenant pas pourquoi, lors de nos rencontres, ils faisaient toujours comme si rien ne m'était arrivé, ne me demandant jamais de mes nouvelles, je leur ai parlé au téléphone. J'ai eu des explications parfois un peu houleuses mais qui m'ont semblées nécessaires pour essayer de reprendre des relations fraternelles sur de bases plus saines.
Une personne m'a dit un jour : "ça s'entend à ta voix que tu as changé, que tu vas mieux" ; cette phrase, j'aurais aimé l'entendre de la part de mes proches ou bien tout simplement, de temps en temps : "comment vas-tu ?", "est-ce que tu vas mieux ?" ou "est-ce que tes problèmes s'améliorent ?".
N'ont-ils pas eu l'impression de m'avoir perdue en cours de route pendant toutes ces années où j'étais abrutie par ces "médicaments" ?
Est-ce qu'ils préféraient lorsque je ne disais plus rien, que j'étais toujours d'accord sur tout ? Ont-ils peur de ma vraie personnalité, alors que moi j'ai l'impression de revivre, d'être à nouveau moi-même ?
Ont-ils cru que je voulais me plaindre ? Alors que je voulais juste leur expliquer ce qui m'arrivait pour qu'ils comprennent pourquoi vers la fin de mon sevrage, j'étais très fatiguée et parfois un peu énervée.
Je sais très bien qu'ils ont leurs propres soucis et leurs propres problèmes. Ils ont leur propre vie et ils considèrent peut-être que tout ça c'est la mienne. Ils n'ont, d'ailleurs, peut-être pas tout à fait tort. Mais, je pensais que des frères et sœur, de qui on a été si proche, pouvaient comprendre et vous apporter leur soutien. Pour moi, ça n'a pas été le cas.
Lorsque j'ai rencontré mon mari, j'avais 41 ans. Avant ça, j'étais très proche de ma famille. Alors, est-ce qu'une fois que les frères et sœurs sont mariés et qu'ils ont des enfants et petits-enfants, on ne peut plus compter sur leur soutien lorsque l'on souffre ? Est-ce qu'on ne fait plus partie de leurs priorités ? En tout cas, moi, ce n'est pas comme cela que je voyais les relations frères-soeurs.
Peut-être que le fait que je n'ai pas d'enfants et forcément pas de petits enfants peut expliquer qu'en dehors du soutien de mon mari, je me sois, tout naturellement tournée vers eux pour un peu de compréhension. Était-ce trop demander ?
Peut-être qu'ils ont du mal à admettre que les médecins qui sont sensés vous soulager peuvent vous faire autant de mal. ça, je peux le comprendre puisque je leur ai moi-même fait confiance pendant toutes ces années. Ou pensent-ils que j'ai eu tort d'arrêter tous ces "bons médicaments" et que j'étais mieux sous ces drogues ?
Peut-être qu'ils ont du mal à croire qu'on puisse souffrir de symptômes de sevrage plus d'un an après l'arrêt des antidépresseurs et anxiolytiques. ça aussi, je peux le comprendre puisque le corps médical ne reconnait pas ce fait au delà de quelques mois.
Est-ce parce que souffrir de symptômes de sevrage ce n'est pas une vraie maladie (et tant mieux pour moi)?
Mais, j'aurais aimé pouvoir en parler avec eux et leur dire ce que je ressentais au plus profond de moi.
Je ne suis pourtant ni une menteuse, ni une affabulatrice. Je pensais qu'ils le savaient.
J'ai dû reconstruire mon couple également.
Pendant toute la durée des traitements psychotropes (13 années consécutives + une année de sevrage), mon mari m'avait complètement prise en charge. Pour la bonne raison, c'est que je n'étais plus capable de faire quoi que ce soit. C'est lui qui décidait de tout et qui faisait tout pour nous deux à la maison.
Depuis la fin de mon sevrage, j'ai recommencé à conduire, j'ai repris petit-à-petit les comptes, un peu de ménage, je prépare les repas, je fais de bons petits plats, de la pâtisserie, des confitures. Et tout ça avec beaucoup de plaisir. Je n'ai pas besoin de me forcer pour faire les choses. Alors qu'avant, tout me paraissait une montagne.
Et, Lorsque j'ai commencé à reprendre le contrôle de ma vie, la relation entre nous, est devenu très problématique. Il a fallu trouver un nouveau mode de fonctionnement. Aujourd'hui, 15 mois après l'arrêt des psychotropes, même si c'est encore parfois difficile, nous avons retrouvé un équilibre et une entente bien meilleure qu'avant.
La peur qui me reste c'est d'avoir des séquelles, des lésions irréversibles au niveau de certains nerfs. Je pense que la plupart de mes symptômes vont continuer à s'atténuer avec le temps (encore 6 mois, un an, deux, plus ?) mais je ne suis pas certaine qu'ils vont disparaitre complètement. Je pense notamment aux acouphènes.
Il y a aussi le fait que j'ai dû (et doit encore) gérer seule mes problèmes. Je veux dire sans l'aide du corps médical. Parce que je suis persuadée que si j'étais allée voir un médecin en lui faisant part de tous ces symptômes physiques et psychologiques, la réponse aurait été très simple : reprise des antidépresseurs et des anxiolytiques !
J'ai vraiment eu le sentiment d'avoir été trahie par ces médecins en qui j'avais une grande confiance.
Ce qui me gêne encore, c'est ce manque de reconnaissance.
J'ai l'impression aussi qu'on m'a volé des années de ma vie.
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